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Histoire de la Carnivorité

Posté : 15 janv. 2005 12:33
par cesar
Il faut s'être rendu au moins une fois à une exposition de plantes carnivores pour découvrir l'attrait que représente ces plantes : passions, curiosité et malheureusement aussi dégoûts.

Si nous n'avons pas encore réussi à faire accepter à une catégorie de personnes, que ces plantes ne sont pas des monstres mais avant tout des plantes, au moins nul ne met plus en doute le fait qu'elles soient carnivores.

Au 19e siècle s'était l'inverse, on ne voyait dans ces plantes que des plantes et rien d'autre. Par exemple, prenons le cas de l'aldrovanda. En 1858, Caspary fit la description botanique d'Aldrovanda vesiculosa. Il est agréable de lire ces textes avec 150 ans de recul. On n'y retrouve aucun commentaire sur le limbe (corps de la feuille et qui dans le cadre de l'Aldrovanda représente le piège) et sur le fait qu'il puisse se refermer. Par contre, on assiste à un débat de spécialistes sur la structure du faisceau central de la plante. Aujourd'hui, on sait que la vérité, ou plutôt le débat, était ailleurs. Les scientifiques de l'époque sont passés à côté de quelque chose de grandiose : "Aldrovanda est une plante qui attrape et digère des insectes".

La critique est toujours facile lorsque l'on dispose du recul des années. Il faut néanmoins remettre les choses dans leur contexte et comprendre qu'en 1848, la notion même de carnivorité pour certains végétaux n'existait pas encore à l'époque.

On savait qu'il existait une relation particulière entre certaines plantes et les insectes mais de là, à imaginer que les premières puissent se nourrir des secondes, il y avait un monde. Au XVIIIe siècle, on pensait que les insectes trouvaient tout simplement refuge contre les prédateurs dans les urnes de Sarracenia ou de Nepenthes. Il y bien eut Diderot (1713-1784) qui prononça les termes impensables "presque carnivore", en parlant de la Dionaea, mais ceux-ci furent refusés par Linné.

Par contre, il ne faut pas croire que nos aïeux étaient aveugles. Ils avaient bien observé que la Dionée se refermaient sur des insectes, ou encore que les droseras piégeaient des petites proies. Néanmoins comme la notion de carnivorité n'avait pas encore percé les esprits, il fallait trouver d'autres explications et les observateurs de l'époque n'étaient pas avares d'hypothèses.

Ainsi JP Vaucher en 1841 dans son ouvrage de l'histoire physiologique des Plantes d'Europe VAUCHER cherche à expliquer le mouvement de la feuille de drosera. Pour lui, cette notion est fausse et le fruit d'une mauvaise observation. Il va de soi que ce n'est pas la feuille qui enveloppe l'insecte mais l'insecte qui par son mouvement s'enroule dans la feuille.
"(…) Roth, selon Poret, Dictionnaire Encyclopédique, vol. v, pag. 298, assure que si un insecte se pose sur une feuille d'un Drosera, à l'instant ces poils glanduleux, par un mouvement d'irritabilité, se fléchissent et enveloppent, qu'ensuite la feuille elle-même se replie pour incarcérer entièrement le petit animal, comme dans le Dionaea muscipula. Mais si on observe ce petit phénomène de plus près, on verra que c'est l'insecte lui-même qui, en touchant les poils glanduleux, s'enveloppe insensiblement dans leurs filets gluants, et détermine par ses mouvemnts les feuilles à se rouler du sommet à la base sur leur face glanduleuse".
Et naturellement dans les faits inexplicables, il y a la dionée. Cette plante est animée de mouvement. Là pas question de dire que c'est l'insecte qui tire les feuilles du piège sur lui-même, force est de constater que c'est bien la feuille qui se referme. Une fois ce fait admis, il faut essayer de trouver une explication bien logique. La notion de carnivorité n'existant pas encore, la plante ne peut capturer un insecte uniquement que dans le but de s'en protéger. Mais pourquoi s'en protéger ? Là pas d'explication. De même, à quoi peuvent servir ces piques érigées (les cils sensitifs) dans le pièges ? Et bien tout simplement à transpercer la carapace chichineuse de leur proie.
"La surface extérieure des deux lobes foliacés n'a rien de remarquable, mais l'intérieure est formée d'une substance épaisese, cornée, humide et tellement irritable, que le moindre contact suffit pour y déterminer un mouvement; lorsqu'un insecte vient s'y poser, les lobes se replient aussitôt, croisent les cils épineux qui les bordent, et retiennent ainsi ou même tuent leur prisonnier par leur piquûres : tant que l'insecte se débat, les lobes restent fermés, mais lorsqu'il cesse de se mouvoir ou qu'il est mort, ces lobes s'écartent d'eux mêmes. Ce joli phénomène n'a lieu dans toute son étendue, que pendant la végétation et surtout la floraison de la plante; il disparaît en automne, lorsque la fructification est entièrement terminée.
(…)
Quel est le but de cette propriété si remarquable ? C'est sans doute d'écarter les insectes qui nuiraient à la végétation et à la fécondation de la plante. Mais de quel genre seraient les désordres qu'ils pourraient y causer ? C'est ce que j'ignore. En attendant, c'est un spectacle singulier que celui de tous ces Dionaea pliant et dépliant sans cesse leurs feuilles, dans ce coin du monde où ils ont été relégués."
Il faudra attendre 1875 pour que Darwin (1809-1882) publie son ouvrage sur "Les plantes Insectivores" et encore beaucoup pensaient que ce n'était que des affabulations. En fait, c'était la notion même de carnivorité des végétaux qui ne pouvait être admise. Certains y voyaient la mise en branle des fondations même de la conception du monde judéo chrétien. C'est vrai que Darwin avait aussi interpellé ses collègues scientifiques en leur expliquant qu'ils n'étaient pas les enfants de dieu mais les descendants directs des singes.

Les auteurs du livre "Nature & Culture des Plantes Carnivores" (édition Edisud) nous livre quelques anecdotes croustillantes sur les querelles qui opposaient partisans de la carnivorité aux opposants farouches de ces thèses révolutionnaristes.
"Scientifiquement, c'est faire un épouvantable cercle vicieux que de supposer des végétaux carnivores" (A. Béchamp - Annales de la Société d'Horticulture de l'Hérault, 1876).
"il ne saurait être question d'une "reprise" vengeresse de quelques végétaux anarchistes sur les animaux profiteurs" (...). Est-il utile d'ajouter que cette histoire romanesque eût un succès de presse infiniment plus grand que les expériences que j'ai faites pour démontrer qu'il n'y a plus de plantes carnivores qu'il ne saurait y avoir d'arbres anthropophages" (Pr Dubois, faculté de Lyon, La Science et la Vie, juillet 1920).
Des scientifiques de renom n'hésitèrent pas à engager leur réputation pour prouver que la carnivorité n'était pas possible. Je pense notamment à Gaston Bonnier (1853-1922); naturaliste de talent et précurseur de la botanique moderne. Grand pédagogue, il réalisa de nombreux ouvrages destinés à l'enseignement, notamment ces flores, qui sont de nos jours encore réédités et surtout utilisés par les étudiants. Et bien ce grand homme, décoré de la légion d'honneur, était un farouche opposant à l'existence des plantes carnivores.

Je vous livre quelques uns de ces contre arguments, parus en en 1908, dans un long article appelé "La légende des plantes carnivores". Pour Gaston Bonnien, la carnivorité n'existait pas et n'était que le fruit du goût immodéré pour l'extraordinaire et l'invraisemblable. Les outres des utriculaires ne servaient que de flotteurs. Les urnes de népenthes remplies de liquide n'étaient rien d'autre qu'un ingénieux système de régulation des fluides de la plantes : lorsqu'il fait sec, la plante réabsorbe l'eau contenue dans les urnes et lorsqu'il fait humide, elle vide le trop plein dans ses urnes. La dionée ou les droseras ne pouvaient être carnivores car si on leur donnait trop de proies, elles mourraient comme empoisonnés ! Idem pour l'aldrovanda, la plante se développerait mieux dans un milieu sans proie. Certaines de ses réflexions sont douées de logiques, lorsqu'il explique qu'il ne croit à aucun instant que les utriculaires ne soient capables de manger les carpes. Par contre, dans de nombreux cas, ces explications n'ont rien de scientifiques, comme par exemple si le drosera était réellement carnivore, il capturerait bien plus de proies.
"C'est à cette attirance vers les choses extraordinaires et invraisemblables qu'est dû le succès de la théorie "plantes carnivores".
"Darwin dit que c'est par vingtaines que l'on peut compter le nombre d'insectes que capture un Drosera pendant toute son existence. On s'attendrait à trouver des nombres plus considérables chez une plante carnivore."
"C'est ainsi que Webster cite un Drosera chez lequel il a constaté que, pour une petite mouche arrêtée sur la feuille, celle-ci met plus de deux jours pour se refermer sur sa proie et reste ainsi contractée pendant près de deux semaines avant de se rouvrir. Voilà bien du temps pour essayer de digérer un moucheron".
"(…) en observant avec soin ce qui se passait après la capture des moucherons, lorsqu'elle avait lieu, je vis que bien souvent les feuilles se détachaient de la plante. En admettant qu'elles eussent digéré les insectes, cette digestion ne pouvait plus alors servir au pied du Drosera dont la feuille faisait partie, puisque cette feuille l'avait abandonné et était tombée sur le sol".
"Plus récemment, en prenant toutes les précautions nécessaires, Bataline a fait voir qu'en aucun cas les plantes dites "carnivores" ne profitent en quoi que ce soit des morceaux de viande ou des insectes "capturés" par leurs feuilles".
"Diderot qui, le premier, prononça l'expression de "plantes carnivores", adopta immédiatement, au contraire, l'opinion d'Ellis, bien qu'il n'eût jamais observé de Dionée, et vit dans cette plante un exemple de rapprochement entre le règne végétal et le règne animal".
"D'après ce naturaliste (ndtr W.M. Canby 1868), les Dionées aimeraient le bœuf et détesteraient au contraire le fromage. Parmi les insectes, elles préféreraient les coléoptères aux mouches et aux fourmis, tandis que les Drosera au contraire, aimeraient mieux les mouches.Tous les goûts sont dans la nature".
"Mais les divers savants qui, depuis 1875, se sont occupés des mouvements de la Dionée et qui en ont fait l'étude sans aucune idée préconcue, concluent que cette plante n'est en quoi que ce soit carnivore".
"M. Munk démontre nettement que, si les insectes restent entre les lobes d'une feuille de Dionée, celle-ci tombe, se détache et se flétrit comme si elle était empoisonnée !".
"Une feuille d'Aldrovandia, dilatée à la base en une sorte de gaine qui porte 4 à 6 prolongements effilés, est articulée au dessus et porte deux lobes pouvant s'écarter ou se rapprocher comme les deux valves d'une coquille. (…) Ils s'écartent par la chaleur, se rapprochent par le froid et se referment aussi lorsqu'on les excite par le contact. (…)
Comme les feuilles sont naturellement plongées dans l'eau, il est difficile de supposer que cette Droséracée puisse attraper des mouches au vol; aussi a-t-on prétendu qu'elle capture dans ces pièges ingénieux des larves aquatiques variées, de petits crustacés et même de très jeunes poissons. On a publié en Angleterre des livres ornés de planches en couleurs, où l'on assiste à toutes les phases de drames terribles qui se déroulent aux abords des freuilles d'aldrovandia.
Malheureusement pour les amateurs de romans, les cultures de cette plante aquatique dans des aquariums où l'eau était dépourvue de ces larves, crustacées ou poissons, ont prospéré mieux que dans des aquariums dont l'eau renfermait de ces petits animaux. Serait-ce que ces larves, crustacée et autres petites bêtes entament les feilles et la tige d'Aldrovandia ? On croit l'avoir constaté nettement. Alors c'est la plante carnivore qui serait mangée par ses soi-disant proies !"
"En étudiant les Drosera, l'auteur suédois a tout d'abord démontré que les prétendues tentacules des feuilles ne secrètent aucun liquide digestif; la viscosité des parties arrondies qui terminent ces prolongements de la feuille est simplement due à une gélification des parois des cellules, comme cela se produit pour les graines de lin; il n'esiste ni glandes ni sécrétion".
"Il est incroyable qu'on ait pu donner créance à cette hypothèse de la carnivorité des Utriculaires, au point de leur attribuer la disparition des carpes dans les régions de l'Amérique du Nord où elles ont été introduites. Si vraiment les carpes ont disparu de ces localités, par la suite de l'introduction des Utriculaires, je serais plus porté à croire que c'est parce que les carpes auraient mangé trop d'Utriculaires et non parce qu'elles ont été mangées par ces plantes !"
"La carnivorité des Grassettes est une illusion, comme celle de toutes les plantes précèdentes."
"Généralisant les propriétés de ces plantes, on a même fait remarquer; en décrivant les feuilles du Nepenthes rajah, que leurs urnes ayant jusqu'à 50 centimètres de hauteur, leur largeur est assez grande pour engloutir un petit oiseau ou un mammifère.
Voilà maintenant que les plantes carnivores vont dévorer les animaux supérieurs; cela devient dangereux. Heureusement qu'on n'arrive à cette conclusion qu'en mesurant avec un mètre la longeur des urnes du Nepenthès !
(…)
Mais que disent les savants qui, sans aucune idée préconçue, ont étudié ces curieuses plantes dans leur localités naturelles ?
Ils trouvent tout autre chose. Ils constatent que la quantité de liquide contenue dans les urnes varie d'une manière considérable. Cette quantité augmente lorsque l'air est très humide; au contraire, si l'air devient plu sec, le liquide est réabsorbé par les parois de l'urne. Il semble donc que ces feuilles singulières constituent un appareil qui règle la quantité d'eau contenue dans la plante : un système de réservoir d'eau ingénieusement combiné par la nature".
"D'ailleurs, de nombreux observateurs ont décrit des fourmis s'établissant dans ces appareils "dévorants" des Nepenthès pour y élever leurs larves; d'autres ont parlé de papillons qui viennet pondre dans les "pièges à insectes" des Sarracenias. Singulière idée qu'auraient ces divers insectes de venir s'établir précisément sur la partie de la plante qui serait destinée à les dévorer".
"C'est ainsi que, comme je l'ai dit plus haut, les urnes de Nepenthès paraissent être des réservoirs régulateurs de la proportion d'eau contenue dans la plante; que les petites outres de l'Utriculaire maintiennent la plante à la surface de l'eau; puis, quand à la fin de la saison elles s'épaississent intérieurement, rejetant les gazs qu'elles contenaient, la plante tout entière s'enfonce dans l'eau avec ses fruits mûrs et ses graines".
"Ceci me rappelle qu'un très haut fonctionnaire de l'Etat, étant venu visiter mon laboratoire de Biologie végétale de Fontainebleau, je lui montrai des Népenthès qui étaient dans la serre. Je lui dis qu'en réalité ces curieuses plantes ne se nourrissaient pas de viande.
"- Mais alors, me dit-il avec le plus grand sérieux, l'arbre d'Afrique qui dévore les victimes humaines, ce serait donc une légende ?
- Oui, Monsieur le Président, répondis-je respectueusement, ce serait une légende."
Je m'arrêterai là sur les anecdotes prouvant la non carnivorité. Une chose est sure il faudra finalement attendre les années 1970 pour que les thèses darwiniennes soient enfin reconnues, lorsque plusieurs équipes scientifiques prouvèrent que certaines plantes pouvaient digérer chimiquement des proies et surtout assimiler le produit de leur digestion. La carnivorité étai enfin née.

Remarques : Certaines de ces citations vous auront peut être fait sourire mais loin de moi l'idée de vouloir me moquer des ces illustres hommes de sciences. Ce n'est juste qu'un signe d'humilité pour nous rappeler, à tout à chacun, que rien n'est figé et que la vérité est souvent ailleurs. N'oublions pas que ce que nous considérons comme vrai aujourd'hui sera peut être jugé comme faux dans l'avenir, et inversement que ce que nous croyons faux aujourd'hui deviendra vrais demain. Gardons aussi à l'esprit que les débats que nous considérons comme capitaux aujourd'hui, seront dans quelques dizaines, quelques centaines d'années, jugés comme futiles, inintéressants et nos descendants diront alors "mais ils sont passés à côté de la chose la plus fantastique qu'il soit".

César :e79

Posté : 15 janv. 2005 14:24
par Kamikazee
Salut César,

Super ce petit (enfin grand!) topo.
En effet tout en respectant ces scientifique cela fait sourire, mais bon c'est vrai que c'est eux qui nous font croire le vrai du faux, parfois, comme l'on peut voir dans certaines de tes citations, avec peu d'arguments qui tiennent la route.

En tout cas cette lecture fut superbement interessante :razz:

Posté : 15 janv. 2005 14:53
par rafa
Salut,

Superbe ce texte!, merci beaucoup pour le partager avec nous. J'ai bien aime :D.

Tu pourrais le publier dans la prochaine revue de Dionee, hein? :wink:.

A plus,

Rafael.

Posté : 15 janv. 2005 16:38
par Téquila
t'as eu bien du courage de rédiger tout ça :wink:

Merci, c'etait très interressant, j'aime l'évolution des sciences, c'est rigolo :D

peut etre qu'en fait, les plantes carnivores ne le sont pas.... :roll:

Posté : 15 janv. 2005 17:49
par mij
Excellent.
jean rémi.

Posté : 16 janv. 2005 19:23
par Foyout
tres interessant, en effet...merci Cesar

foyout

Posté : 16 janv. 2005 19:39
par melgirith
très instructif, et bien fait en plus! merci

Posté : 16 janv. 2005 22:00
par Manu (freeride)
Hello tout le monde,

Merci Cesar j'ai adoré, les querelles de scientifiques il y en aura de tout temps.
C'etait tres interessant

Merci
Manu